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Je me
rappelle maintenant comment le chauffeur se pencha au-dehors pour
regarder vers
le fleuve, du côté de Passy. Un regard si sain, si simple, un regard
approbateur, comme s'il se disait à lui-même: «Ah! le printemps arrive!
» Et
Dieu sait, quand le printemps arrive à Paris, le plus humble mortel a
vraiment
l'impression qu'il habite au paradis !
MILLER
Tôi bây giờ
nhớ lại cái cảnh anh tài xế taxi nghiêng người ra ngoài xe, nhìn về
hướng sông,
từ phía Passy. Một cái nhìn thánh thiện, đơn giản, và mới “xoa đầu hài
lòng làm
sao”!
Như thể anh ta đang nói với chính mình: “Ui chao Mùa Xuân về rồi.”
Và Thượng Ðế
thì cũng chẳng thể nào hiểu ra được, khi Mùa Xuân trở về lại với Paris,
thì một
đấng con người nhún nhường, bình thường, tầm thường, đôn hậu, nhân hậu
và cảm động,
cái thứ sinh vật phải đi đến cái chết đó, vào lúc đó, nó cảm thấy thực
sự đang ở
Thiên Ðàng!
Jennifer @
Paris 2011
GERTRUDE
STEIN
On cite
souvent cette phrase minimaliste et
poétique: «Une rose est une rose est une rose est une rose» (“ A Rose
is a rose
is a rose is a rose”)... C'est sa manière à elle d'exprimer que
l'imaginaire
est sans limites, que tout est possible avec les mots. (On peut
retrouver,
évidemment, son influence dans le style d'Hemingway et, d'une certaine
manière,
beaucoup plus tard, chez Marguerite Duras.)
BHD
la BHD
la BHD la Rose Sans Pourquoi
DES
AMÉRICAINS À PARIS
GERTRUDE
STEIN (1874-1946)
HENRY MILLER
(1891-1980)
JAMES JONES
(1921-1977)
Je me
rappelle maintenant comment le chauffeur se pencha au-dehors pour
regarder vers
le fleuve, du côté de Passy. Un regard si sain, si simple, un regard
approbateur, comme s'il se disait à lui-même: «Ah! le printemps arrive!
» Et
Dieu sait, quand le printemps arrive à Paris, le plus humble mortel a
vraiment
l'impression qu'il habite au paradis !
MILLER
Les auteurs
américains ont été longtemps fascinés par Paris; certains le sont
encore. Au
XIXe siècle, on y rencontre Henry James et Edith Wharton. Plus tard, à
l'occasion de la Première Guerre mondiale, les échanges entre le
Nouveau Continent
et la France s'intensifient. L'Amérique sort de son isolationnisme,
découvre
l'Europe, pour laquelle ses soldats se sont battus. Paris personnifie
alors la
Ville lumière par excellence, une cité ouverte où se croisent des
artistes hongrois,
argentins, espagnols, des peintres, des sculpteurs, des écrivains.
Dans la
première moitié du xxe siècle, quelle ville peut prétendre rivaliser en
pouvoir
de séduction ? Elle devient un vivier de créateurs, attire des jeunes
dont
l'envie première est de trouver un cadre propice à leur désir
d'expression.
Dans les
années 1910, 1920, 1930, Paris acccueille Fitzgerald et Hemingway,
Henry Miller
et Gertrude Stein, puis, plus tard, au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale,
James Jones et Irwin Shaw. L'air y est plus vif et plus libre que
partout
ailleurs.
GERTRUDE
STEIN
Dans sa vie,
prophétesse de la libération des femmes, Gertrude Stein écrivain est
une pure
intellectuelle à l'européenne, comme Germaine de Staël ou Virginia
Woolf. Elle
a été l'âme d'un complot chaleureux, celui des Américains de Paris
entre Belle
Époque et années folles. Parlant beaucoup, écrivant peu : une figure de
proue.
« C'est
l'âge où tout le monde avait vingt-six ans », dira Gertrude Stein pour
exprimer
les meilleures années des Américains à Paris. Gerrtrude Stein, grande
figure
américaine à Paris, arrive dans la capitale en 1903 et habite un
appartement
27, rue de Fleurus, devant le Luxembourg. Elle y tient salon, au sens
du XVIIIe
siècle, chose impensable aux États-Unis où il n'y a pas de salons
littéraires.
Tout autour, dans les bistrots, on rencontre des jeunes gens inconnus,
français
et étrangers, qui ont pour nom Ernest Hemingway, Francis Scott
Fitzgeerald,
T.S. Eliot, Ezra Pound, Joyce, Juan Gris, Max Jacob, Apollinaire,
Picasso,
Braque ... Tous vont chez Gertrude Stein. Qu'y trouvent-ils? Une
effervescence,
un bouillonnement culturel, artistique, humain; là, ils apprennent à se
connnaître, se jalousent, s'aiment, se parlent. Les Américains se
sentent là
comme des poissons dans l'eau. Ils ont quitté un pays qui ne glorifie
que ceux
qui font de l'argent, les ingénieurs, les industriels, les inventeurs,
les
savants, les hommes durs. À Paris, dans ce cercle qui se forme chez
Gertrude
Stein, ils ont enfin leur place. Ils sont dans la Ville lumière!
Gertrude
Stein - visage dur au nez un peu fort, menton très volontaire, regard
acéré -
possède une connaissance, une compréhennsion et une psychologie des
êtres
étonnantes. Elle n'a pas son pareil pour détecter les vrais talents des
faux.
Elle ne s'intéresse pourtant pas qu'aux arts. Elle se délecte dans
l'échange de
rumeurs, elle aime les bavardages, et, en ouutre, c'est une marieuse :
elle
présente les gens les uns aux autres, fabrique des intrigues.
Rue de
Fleurus, elle vit avec Alice B. Toklas, dont elle contera, en 1933,
l'existence, L'Autobiographie d'Alice B. Toklas (The Autobiography of
Alice B.
Toklas), dans un beau livre qui raconte la vie sociale de ces
années-là. Il
faut lire Gertrude Stein pour connaître le Paris des premières
décennies du
siècle dernier car elle a reçu, chez elle, trois générations
d'artistes: ceux
de l'avant-1914, des années 1920, puis des années 1930. C'est ainsi que
s'est
créé, autour d'elle, un mythe.
Sa légende
est d'autant plus surprenante que la vie de Gertrude Stein, en soi,
n'offre
rien d'exceptionnel. Née en 1874 en Pennsylvanie, d'une riche famille
juive
d'origine autrichienne, qu'elle a décrite dans Américains
d'Amérique (The Making of Americans, 1925), elle fait de
brillantes études, puis se fixe à Paris où elle commence à acheter des
tableaux
à des amis et à écrire. En tant qu'écrivain, elle expérimente une prose
intrigante et un peu obscure. Elle écrit au fil de sa pensée, sans
jamais faire
de corrections, reproduisant ce qu'elle vient d'entendre et le mêlant à
ce qui
lui passe par la tête - selon ses propres termes. On cite souvent cette phrase minimaliste et poétique: «Une
rose est une rose est une rose est une rose» (“ A Rose is a rose is a
rose is a
rose”)... C'est sa manière à elle d'exprimer que l'imaginaire est sans
limites,
que tout est possible avec les mots. (On peut retrouver, évidemment,
son
influence dans le style d'Hemingway et, d'une certaine manière,
beaucoup plus
tard, chez Marguerite Duras.)
«Ne vous
préoccupez pas des virgules qui ne sont pas là, ne vous inquiétez pas
du sens
qui est là. Lisez les mots vite », disait-elle, ou encore : « Ce livre
a été
écrit pour qu'on en ait du plaisir. »
Gertrude
Stein a écrit, entre autres, en 1914, Tendres
Boutons (Tender Buttons: Objects, Food, Romms), un recueil de
poésie
expérimentale à la manière cubiste qui a influencé toute la poésie du
début du
siècle. Elle a également publié de nombreux portraits de son entourage
: Dix
Portraits (1930), Matisse, Picasso et Gerturde Stein (1933). Elle a
aussi fait
paraître, avant sa mort à Neuilly, en 1946, Brewsie et Willie, qui
reegroupe
les conversations qu'elle a eues avec des GI's après la guerre. Elle
reste
notamment comme celle qui introduisit dans le langage courant,
caractérisant
les auteurs de l'aprèssguerre, la belle formule de la « génération
perrdue ».
HENRY MILLER
D'abord un
jouisseur, un graphomane habité par le désir de baiser et d'écrire. Et
de ce
fait, dans son pays, un provocateur par qui le scandale arrive. Mais
bien sûr,
il est davantage que cela, il n'est que de suivre son regard tout de
sensibilité sur la Grèce dans Le Colosse
de Maroussi. Et puis Miller, pour nous Français, est aussi un
merveilleux
témoin du Paris mythique de l'entre-deux-guerres dont il raconte moins
les
splendeurs que la misère. Apaisé par l'Europe, il finit, ô paradoxe,
par
incarner la sagesse conquise, dans sa résidence de Big Sur, face à
l'océan
Pacifique.
Quand on
songe aux Américains à Paris, on pense d'abord à Henry Miller, qui y
arrive en
1928. Fils d'immigrés allemands, il est né en 1891 à New York, en face
de
Manhattan, dans le quartier de Williamsburg, la Little Germany de
Brooklyn. Sa
famille, pauvre et austère, vient du Hanovre; son père est tailleur, et
Henry
Miller désigné pour lui succéder. Le garçon ne l'entend pas ainsi. Il
entre
dans la fameuse compagnie du télégraphe, la Western Union. À presque
quarante
ans, il en est le directeur du personnel. Il s'est marié puis a
divorcé. On
pourrait croire que sa vie est toute tracée.
Pourtant,
Henry Miller prend la tangente: il quitte son entreprise, Brooklyn,
l'Amérique,
et traverse l'Atlantique. Il vient voir la France. Il pense y passer un
court
séjour. Il va y rester dix ans. C'est là qu'il entrevoit la matière de
son
œuvre littéraire : Paris est une révélation, de même que l'Europe tout
entière.
Il visite le Paris touristique, mais aussi le Paris des petits métiers,
des
petites rues et des petites gens. Et ce tableau agit comme une
libération.
Adieu le puritanisme, l'hypocrisie, tout ce par quoi, aux États-Unis,
il s'est
senti bridé et freiné. Il découvre la vie et le sexe.
«Rien de
mieux, entre cinq et sept, que d'être bahuté dans cette presse, de
suivre une
jambe ou une belle poitrine, d'avancer avec le flot, alors que la tête
vous
tourne. Joie étrange de cette époque: pas de rendez-vous, pas
d'invitations à
dîner, pas de programme, pas de fric. L'âge d'or où je n'avais aucun
ami.
Courir çà et là comme une punaise, ramasser des mégots de temps à
autre, tantôt
furtivement, tantôt faisant le brave; m'asseoir sur un banc et me
serrer les
tripes pour arrêter les crampes; me promener dans le jardin des
Tuileries et
bander en regardant les statues muettes. Ou bien errer le long de la
Seine, la
nuit, errer sans fin, devenir fou de sa beauté, arbres penchés, reflets
brisés
dans l'eau, la ruée du courant sous les lumières sanglantes des ponts,
les
femmes endormies sur les seuils des portes, dormant sur des journaux,
dormant
sous la pluie. Partout, les porches moisis des cathédrales et les
mendiants et
les poux et les vieilles haillonneuses, tout agitées de danses de
Saint-Guy.
Charrettes à bras, rangées comme des tonneaux de vin dans les rues
adjacentes,
l'odeur des fraises sur la place du marché, et la vieille église
entourée de
légumes et de lampes à arc bleu, les ruisseaux des rues gluants
d'ordures, et
des femmes en escarpins de soie titubant à travers l'ordure et la
vermine,
après une nuit d'orgie. »
Henry Miller
découvre le quartier de Montparnasse, à la suite d'autres émigrés
américains
venus et repartis durant les années 1920. Là règnent le sculpteur
Zadkine, le
photographe Brassaï, Raymond Queneau, Blaise Cendrars, dont il
deviendra un des
grands amis.
Curieusement,
au lieu de s'installer à Paris, il élit domicile à Clichy. Mais Clichy
n'est
pas un si mauvais choix. C'est dans ce faubourg qu'exerce le docteur
Destouches. En 1932, Desstouches, alias Louis-Ferdinand Céline, publie Voyage au bout de la nuit. Pour Miller,
c'est une découverte absolue. Il est fasciné par le génie inventif, par
la
liberté de mots de l'auteur.
«C'est
maintenant l'automne de ma seconde année à Paris, je n'ai pas d'argent,
pas de
ressources, pas d'espérance, je suis le plus heureux des hommes au
monde. Il y
a un an, si moi je pensais que j'étais un artiste? Je n'y pense plus,
je SUIS.
Tout ce qui était littérature s'est détaché de moi, plus de livres à
écrire,
Dieu merci. Et alors, celui-ci, c'est pas un livre? Non, c'est pas un
livre,
c'est une insulte, un crachat, un coup de pied dans le cul à Dieu, à
l'homme,
au destin, au temps, à la beauté, ce que vous voudrez. Je m'en vais
chanter
pour vous, je chanterai pendant que vous crèverez, je danserai sur
votre
ignoble cadavre. »
Henry Miller
se met à écrire. En 1934, il publie Tropique
du Cancer (Tropique of Cancer), en langue anglaise, mais chez un
éditeur
parisien, qui stupéfie ses lecteurs et bouscule le monde des lettres.
On ne
peut pas dire que le livre fasse scandale en France, mais aux
États-Unis, c'est
l'opprobre.
À relire
Miller aujourd'hui, on a du mal à comprendre comment il a pu choquer
autant.
Pourtant Tropique du Cancer, puis Tropique du Capricorne, gu'il fait paraître en 1939, sont
interdits
aux Etats-Unis. Ils n'ont pas été publiés, dans le pays, jusqu'en 1960
et donc
lus uniquement de manière clandestine. Qu'y a-t-il donc dans ces deux
brûlots?
La découverte par Milller des plaisirs de la vie: Tropique
du Cancer raconte l'amour, les femmes, les prostituées, et
un Paris picaresque, les bistrots, l'accordéon, les petites rues, la
banlieue; Tropique du Capricorne, la
vie de Miller en Amérique avant son départ. Le
vocabulaire est très cru, mais la charge dérangeante de l'écriture
toutefois
bien moins saisissante que chez Céline.
«Oh, Tania,
où sont maintenant ton sexe brûlant, tes épaisses, tes lourdes
jarretières, tes
douces cuisses si dodues? J'ai un os de six pouces dans la queue.
j'aplatirai
tous les plis de ton vagin, Tania, et le remplirai de semence. Je te
renverrai
à ton Sylvestre le ventre douloureux et la matrice sens dessus dessous.
Ton
Sylvestre, oui, il sait bien allumer un feu, mais moi je sais comment
enflammer
un sexe. Je te rive des boulons brûlants dans le ventre, Tania. »
Le style rappelle
celui des écrivains américains du début du siècle, fascinés par le
retour à la
nature. Le sexe, pour Miller, c'est la nature, la vie première.
Lorsqu'il
raconte avec beaucoup de simplicité qu'il a eu une violente érection en
croisant une prostituée dans un bistrot, ça n'est en fait ni scandaleux
ni
exhibitionniste. Miller n'arrête pas de bander, et s'émerveille sans
cesse de
ce pouvoir. C'est une découverte, comme si, durant les quarante
premières
annnées de sa vie américaine, il n'avait rien connu du sexe. Mais ce
serait un
contresens et une injustice de réduire Henry Miller à un homme fasciné
par ses
érections. C'est la vie humaine qui est au centre d'une œuvre
importante, difficile
à définir.
Il écrit
quelque chose qui n'est ni du roman ni du récit, non plus que des
mémoires ou
un journal: c'est un peu de tout cela à la fois. C'est un chant avec
des temps
morts, des temps lents, et des éruptions, un carnet de notes, carrnet
de voyage
d'un Américain qui n'en croit pas ses yeux. Il est ébahi par ce que
Paris et
l'Europe lui offrent: la liberté, la différence, l'insolite,
l'exotique, au
point de bouleverser son humeur, son esprit, son caractère.
Alors qu'il
vivait de manière très confortable aux États-Unis, il a accepté de
«crever de
faim» pour pouvoir rester à Paris. Heureusement, il est aidé. Ses amis
artistes
de Montparrnasse le nourrissent. Il profite des femmes également, et en
particulier de celle qui devient sa muse. Écrivain, américaine
également, Anaïs
Nin est la fille d'un pianiste catalan et d'une danseuse danoise. Elle
l'entretient et l'accommpagne.
«Tu es comme
l'ours, Henry: tout de douceur dans une enveloppe de dureté, avec une
délicieuse rugosité suave qui me fait fondre. Je suis désolée que tu
n'aies pas
poussé plus avant la lecture du journal. Il y avait des tas de choses
tendres
sur toi. Je ne comprends toujours pas très bien ce qui t'a arrêté. Hier
soir,
je me demandais comment je pourrais te montrer, te montrer par le moyen
qui me
coûterait le plus, que je t'aime. Et je n'en ai trouvé qu'un seul:
t'envoyer de
l'argent pour que tu le dépenses avec une femme. J'ai pensé à la Noire,
je
l'aime bien, parce qu'au moins elle m'attendrit. Je t'en prie, ne va
pas avec
une putain trop bon marché, trop ordinaire. Et puis, ne m'en parle pas,
puisque
je suis persuadée que tu l'as déjà fait. Laisse-moi croire que c'est
moi qui
t'ai fait ce cadeau. »
Les livres
d'Henry Miller, sorte d'autobiographies de ses émotions, influencent
l'art
littééraire parce qu'ils agissent comme une véritable délivrance pour
les
écrivains: ils brisent les modèles et les structures établis. Henry
Miller
produit beaucoup : Il publie, entre les deux Tropiques,
Aller-retour New
York en 1935, Printemps noir (Black
Spring, 1936), Max et les phagocytes
(Max and the White Phagocytes, 1938) et L'Œil
cosmologique (The Cosmological Eye, 1939).
«J'ai
parcouru les rues de bien des pays du monde; nulle part je n'ai connu
dégradation, humiliation plus grandes qu'en Amérique. Je les vois,
toutes ces
rues d'Amérique, combinant toutes ensemble une énorme fosse d'aisances,
la fosse
d'aisances de l'esprit, pompant et drainant toutes choses au royaume de
la
merde éternelle. Et sur ce cloaque, le démon du travail tisse et jette
une trame
magique. Usines et palais surgissent côte à côte avec les fabriques de
munitions et de produits chimiques, les aciéries, les sanas, les
prisons, les
asiles d'aliénés. Le continent entier n'est qu'un cauchemar à fabriquer
la plus
grande misère possible pour le plus grand nombre de gens possible. »
Tropique du
Capricorne,
c'est la condamnation
totale de la
société américaine coercitive, de son puritanisme, de ses freins, de sa
machine, de la loi de l'argent et du succès. Personne, avant lui, n'a
critiqué
de manière aussi radicale le système dans son ensemble. Il faut
d'ailleurs
reconnaître que la remise en cause des États Unis est toujours venue
des
Américains eux-mêmes. Or, Miller, même s'il est le fils d'immigrés
allemands,
est l'Américain type. Il a vécu quarante ans dans son pays, et sa
stature, son
langage et même sa façon de prendre de la disstance avec son pays sont
très
nord-américains.
En 1941,
Miller écrit Le Colosse de Maroussi (The Colossus
of Maroussi) chez son ami
Lawrence Durrell, l'auteur irlandais du Quatuor
d'Alexandrie, après un voyage en Grèce deux ans auparavant. Là
encore,
s'appuyant sur son expérience vécue, il innove du point de vue de la
forme.
Parti de Paris, s'étant promené en France, Miller découvre bientôt la
Grèce. À
ses yeux, la Grèce est moins le berceau de la civilisation occidentale,
la
descendante du monde antique, qu'un lieu de rencontres extraordinaires.
Il est
ébloui par la lumière, et séduit par les Grecs modernes. Il se
passionne pour
les hommes et les femmes, les ports, les petits pêcheurs. Il goûte le
spectacle
du retour de pêche, des poissons qui sèchent vendus à la criée, des
petits bals
spontanés dans les villages, du vin qui coule à flots. Ses rencontres,
il en
fait des personnages, à l'image de Katsimbalis, figure centrale du Colossë de Maroussi. L'épicurien Miller
écrit : «La nourriture me donne une joie inouïe.» Il a compris, comme
les
Grecs, la beauté de la nature, de la terre, des fruits, de la vie.
Katsimbalis
est capable de parrler seul, de monologuer pendant des heures :
Miller en
est absolument abasourdi. Pourtant, s'il ne s'en rend pas compte, il
lui
ressemble. Ses textes sont, eux-mêmes, comme d'immennses monologues!
Tous ses
livres offrent un récit de ses propres expériences, de sa propre
vibration par
rapport à l'existence, que ce soit Le Colosse de Maroussi, les deux Tropiques
ou la trilogie dite Crucifixion en rose (The Rosy
Crucifixion),
qu'il écrira après la guerre.
Le second conflit
mondial le contraint à retourner dans son pays. Avec le peintre Abe
Rattner,
car il adore la compagnie des peintres et des sculpteurs, il effectue
un grand
voyage à travers l'Amérique. Ensemble, ils sont horrifiés par ce qu'ils
voient
du conformisme américain, de l'esclavagisme, du diktat de la réussite
sociale.
En 1945, à la manière des grands romans réalistes du XIXe siècle, il
livre un
portrait impitoyable des grandes villes de son pays, de la machine qui
avance,
fournit, produit, fabrique, et l'effraie, dans Le
Cauchemar climatisé (The
Air Conditioned Nightmare), puis dans Souvenir, souvenirs, en 1947. Au fond, il se
sent désormais très étranger dans son pays natal.
Il revient
ensuite d'une manière assez étonnnante à l'autobiographie, qui est, on
l'a
commpris, sa principale veine. Des deux volets de son existence,
racontés dans
les Tropiques, il livre une seconde
version en trois parties, qu'il titre de manière pittoresque La Crucifixion en rose, composée de Plexus,
Nexus et Sexus, qui paraisssent respectivement en
1949, 1953 et 1960. Il s'y
raconte de manière un peu répétitive, sur deux mille pages.
Henry Miller
aura ensuite une troisième vie, dans sa terre d'origine qu'il a si
radicalement
rejetée. Après de nombreux détours, il trouve le paradis sur terre, à
Big Sur,
en Californie, face au Pacifique. L'endroit est très beau, et plus
encore,
magique. Miller le décrit comme, au XIXe siècle, Thoreau ou Whitman
racontaient
la grande nature américaine, «la grandeur, le silence, les oiseaux, les
séquoias à feuilles perrsistantes, le bleu du ciel, le faucon, l'aigle
et le
busard, les traînées de brouillard, la mer de nuages qui s'étend à
l'infini,
recouvrant tout l'océan, l'air est frais, vivifiant, le ciel pur, le
soleil
encore assez chaud pour qu'on puisse vivre à moitié nu ».
Miller, cet
homme au visage ridé, presque oriental, est maintenant sur la fin de sa
vie, et
se passionne pour le bouddhisme, le taoïsme, le zen, les civilisations
des
Japonais et des Chinois, tout en continuant à vivre avec toutes sortes
de femmes,
bien plus jeunes que lui, souvent venues de l'Orient. Il tient alors un
discours, nouveau, par lequel il deviendra, par la suite, le précurseur
et le
gourou des hippies et des beatniks. Il publie encore Jours
tranquilles à Clichy (Quiet Days in Clichy) en 1956, Le
Temps des assassins (The Time of
Assassins, 1956), livre consacré à Rimbaud ; Big Sur
et les oranges de Jérôme Bosch (Big Sur and the
Oranges of Hieronymus Bosch) en 1957, où il
décrit Big Sur, le Jardin des Délices où vivent ceux qui se sont
éloignés du
«cauchemar climatisé». Il édite également ses nombreuses
correspondances, avec
Lawrence Durrell (Une correspondance privée,
1963) ou avec Anaïs Nin (Lettres à Anaïs
Nin, 1965). Il meurt en 1980, en Californie, après être passé du
statut
d'écrivain maudit et pornographique à celui de prophète.
Ce serait un
contresens de ne retenir de Miller que sa découverte émerveillée de
Paris et
du sexe. Sa philosophie de la vie, son panthéisme, son épicurisme, sa
liberté
face à la langue et sa réflexion sur les hypocrisies et sur les
barrières
puritaines en font une figure majeure, singulière, unique. Si Miller
n'a pas
été un écrivain au sens traditionnel et académique du terme, il fut
certainement
un pionnier, et pour beaucoup, un modèle, presque un sage.
JAMES JONES
ET IRWIN SHAW
Après la
Seconde Guerre mondiale, des Américains continuent à venir s'installer
à
Paaris, perpétuant ainsi - et imitant - la tradition de leurs aînés des
années
1920, Hemingway et Fitzgerald. On pense notamment à James Jones, qui
vécut là
une grande partie de sa vie. James Jones fait partie de ces écrivains
dont le
titre des œuvres, grâce au cinéma en particulier, est davantage connu
que le
leur propre. Jones est l'auteur de Tant
qu'il y aura des hommes (From Here to
Eternity, 1951), de Comme un torrent
(Some Came Running, 1957) et de Mourir et crever (La Ligne rouge, The Thin Red Line, 1962).
James Jones
avait toutes les raisons d'intéresser l'industrie cinématographique :
il
possède un sens extraordinaire du récit et toute son œuuvre tourne
autour de la
guerre du Pacifique. Pour lui, comme pour beaucoup, c'est dans la
guerre que
les hommes se révèlent.
Né en 1921
dans l'Ilinois, il voit son avenir remis en cause par la grande
dépression, pendant
laquelle sa famille est ruinée. Plutôt que de faire de coûteuses
études, il
s'engage dans l'armée. Il est ainsi GI à Pearl Harbor ainsi qu'à
Guadalcanal,
d'où il revient blessé. Tant qu'il y aura
des hommes, gros livre, réaliste et
passionnnant, détaille la vie quotidienne des conscrits américains dans
les
casernes de Pearl Harbor, à la veille du bombardement surprise effectué
par les
Japonais. On ne « lâche » pas les héros de James Jones, et les
Américains vont
lui faire un triomphe. Du jour au lendemain, cet autodiidacte devient
une
gloire littéraire.
À Paris,
James Jones écrit ses romans, et fédère, un peu comme Gertrude Stein
les décennies
précédentes, les écrivains américains expaatriés. Mais le temps lui est
compté:
comme d'autres de ses collègues, il se laisse ruiner par l'alcool. En
douze
ans, il publie ses trois romans, que des « grands» du cinéma
s'approprieront: Fred
Zinnemann, Vincente Minnelli, ou récemmment Terrence Malick. Les
personnages de
James Jones passeront ainsi à la postérité sous les traits de
Montgomery Clift,
Frank Sinatra, Dean Martin, Shirley MacLaine ou encore Sean Penn. James
Jones
est mort en 1977 à l'âge de cinquante-cinq ans.
Citons, pour
finir, le nom et l'œuvre d'Irwin Shaw. Lui aussi a fait la guerre, mais
en Europe.
De cette expérience, il tire un premier roman, The Young
Lions (Le Bal des
maudits en 1948), qui devient aussi un grand best-seller et sera
adapté au
cinéma avec Marlon Brando, Montgomery Clift et Dean Martin.
Philippe
Labro & Olivier Barrot: Lettres d’Amérique
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