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Je me rappelle maintenant comment le chauffeur se pencha au-dehors pour regarder vers le fleuve, du côté de Passy. Un regard si sain, si simple, un regard approbateur, comme s'il se disait à lui-même: «Ah! le printemps arrive! » Et Dieu sait, quand le printemps arrive à Paris, le plus humble mortel a vraiment l'impression qu'il habite au paradis !
MILLER
Tôi bây giờ nhớ lại cái cảnh anh tài xế taxi nghiêng người ra ngoài xe, nhìn về hướng sông, từ phía Passy. Một cái nhìn thánh thiện, đơn giản, và mới “xoa đầu hài lòng làm sao”!
Như thể anh ta đang nói với chính mình: “Ui chao Mùa Xuân về rồi.”
Và Thượng Ðế thì cũng chẳng thể nào hiểu ra được, khi Mùa Xuân trở về lại với Paris, thì một đấng con người nhún nhường, bình thường, tầm thường, đôn hậu, nhân hậu và cảm động, cái thứ sinh vật phải đi đến cái chết đó, vào lúc đó, nó cảm thấy thực sự đang ở Thiên Ðàng!

 Jennifer @ Paris 2011

GERTRUDE STEIN

On cite souvent  cette phrase minimaliste et poétique: «Une rose est une rose est une rose est une rose» (“ A Rose is a rose is a rose is a rose”)... C'est sa manière à elle d'exprimer que l'imaginaire est sans limites, que tout est possible avec les mots. (On peut retrouver, évidemment, son influence dans le style d'Hemingway et, d'une certaine manière, beaucoup plus tard, chez Marguerite Duras.)

BHD la BHD la BHD la Rose Sans Pourquoi

DES AMÉRICAINS À PARIS

GERTRUDE STEIN (1874-1946)

HENRY MILLER (1891-1980)

JAMES JONES (1921-1977)

Je me rappelle maintenant comment le chauffeur se pencha au-dehors pour regarder vers le fleuve, du côté de Passy. Un regard si sain, si simple, un regard approbateur, comme s'il se disait à lui-même: «Ah! le printemps arrive! » Et Dieu sait, quand le printemps arrive à Paris, le plus humble mortel a vraiment l'impression qu'il habite au paradis !

MILLER

Les auteurs américains ont été longtemps fascinés par Paris; certains le sont encore. Au XIXe siècle, on y rencontre Henry James et Edith Wharton. Plus tard, à l'occasion de la Première Guerre mondiale, les échanges entre le Nouveau Continent et la France s'intensifient. L'Amérique sort de son isolationnisme, découvre l'Europe, pour laquelle ses soldats se sont battus. Paris personnifie alors la Ville lumière par excellence, une cité ouverte où se croisent des artistes hongrois, argentins, espagnols, des peintres, des sculpteurs, des écrivains. 

Dans la première moitié du xxe siècle, quelle ville peut prétendre rivaliser en pouvoir de séduction ? Elle devient un vivier de créateurs, attire des jeunes dont l'envie première est de trouver un cadre propice à leur désir d'expression.

Dans les années 1910, 1920, 1930, Paris acccueille Fitzgerald et Hemingway, Henry Miller et Gertrude Stein, puis, plus tard, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, James Jones et Irwin Shaw. L'air y est plus vif et plus libre que partout ailleurs.

 
GERTRUDE STEIN

Dans sa vie, prophétesse de la libération des femmes, Gertrude Stein écrivain est une pure intellectuelle à l'européenne, comme Germaine de Staël ou Virginia Woolf. Elle a été l'âme d'un complot chaleureux, celui des Américains de Paris entre Belle Époque et années folles. Parlant beaucoup, écrivant peu : une figure de proue. 

« C'est l'âge où tout le monde avait vingt-six ans », dira Gertrude Stein pour exprimer les meilleures années des Américains à Paris. Gerrtrude Stein, grande figure américaine à Paris, arrive dans la capitale en 1903 et habite un appartement 27, rue de Fleurus, devant le Luxembourg. Elle y tient salon, au sens du XVIIIe siècle, chose impensable aux États-Unis où il n'y a pas de salons littéraires. Tout autour, dans les bistrots, on rencontre des jeunes gens inconnus, français et étrangers, qui ont pour nom Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgeerald, T.S. Eliot, Ezra Pound, Joyce, Juan Gris, Max Jacob, Apollinaire, Picasso, Braque ... Tous vont chez Gertrude Stein. Qu'y trouvent-ils? Une effervescence, un bouillonnement culturel, artistique, humain; là, ils apprennent à se connnaître, se jalousent, s'aiment, se parlent. Les Américains se sentent là comme des poissons dans l'eau. Ils ont quitté un pays qui ne glorifie que ceux qui font de l'argent, les ingénieurs, les industriels, les inventeurs, les savants, les hommes durs. À Paris, dans ce cercle qui se forme chez Gertrude Stein, ils ont enfin leur place. Ils sont dans la Ville lumière! 

Gertrude Stein - visage dur au nez un peu fort, menton très volontaire, regard acéré - possède une connaissance, une compréhennsion et une psychologie des êtres étonnantes. Elle n'a pas son pareil pour détecter les vrais talents des faux. Elle ne s'intéresse pourtant pas qu'aux arts. Elle se délecte dans l'échange de rumeurs, elle aime les bavardages, et, en ouutre, c'est une marieuse : elle présente les gens les uns aux autres, fabrique des intrigues.

Rue de Fleurus, elle vit avec Alice B. Toklas, dont elle contera, en 1933, l'existence, L'Autobiographie d'Alice B. Toklas (The Autobiography of Alice B. Toklas), dans un beau livre qui raconte la vie sociale de ces années-là. Il faut lire Gertrude Stein pour connaître le Paris des premières décennies du siècle dernier car elle a reçu, chez elle, trois générations d'artistes: ceux de l'avant-1914, des années 1920, puis des années 1930. C'est ainsi que s'est créé, autour d'elle, un mythe.

Sa légende est d'autant plus surprenante que la vie de Gertrude Stein, en soi, n'offre rien d'exceptionnel. Née en 1874 en Pennsylvanie, d'une riche famille juive d'origine autrichienne, qu'elle a décrite dans Américains d'Amérique (The Making of Americans, 1925), elle fait de brillantes études, puis se fixe à Paris où elle commence à acheter des tableaux à des amis et à écrire. En tant qu'écrivain, elle expérimente une prose intrigante et un peu obscure. Elle écrit au fil de sa pensée, sans jamais faire de corrections, reproduisant ce qu'elle vient d'entendre et le mêlant à ce qui lui passe par la tête - selon ses propres termes. On cite souvent  cette phrase minimaliste et poétique: «Une rose est une rose est une rose est une rose» (“ A Rose is a rose is a rose is a rose”)... C'est sa manière à elle d'exprimer que l'imaginaire est sans limites, que tout est possible avec les mots. (On peut retrouver, évidemment, son influence dans le style d'Hemingway et, d'une certaine manière, beaucoup plus tard, chez Marguerite Duras.)

«Ne vous préoccupez pas des virgules qui ne sont pas là, ne vous inquiétez pas du sens qui est là. Lisez les mots vite », disait-elle, ou encore : « Ce livre a été écrit pour qu'on en ait du plaisir. »

Gertrude Stein a écrit, entre autres, en 1914, Tendres Boutons (Tender Buttons: Objects, Food, Romms), un recueil de poésie expérimentale à la manière cubiste qui a influencé toute la poésie du début du siècle. Elle a également publié de nombreux portraits de son entourage : Dix Portraits (1930), Matisse, Picasso et Gerturde Stein (1933). Elle a aussi fait paraître, avant sa mort à Neuilly, en 1946, Brewsie et Willie, qui reegroupe les conversations qu'elle a eues avec des GI's après la guerre. Elle reste notamment comme celle qui introduisit dans le langage courant, caractérisant les auteurs de l'aprèssguerre, la belle formule de la « génération perrdue ».

HENRY MILLER

D'abord un jouisseur, un graphomane habité par le désir de baiser et d'écrire. Et de ce fait, dans son pays, un provocateur par qui le scandale arrive. Mais bien sûr, il est davantage que cela, il n'est que de suivre son regard tout de sensibilité sur la Grèce dans Le Colosse de Maroussi. Et puis Miller, pour nous Français, est aussi un merveilleux témoin du Paris mythique de l'entre-deux-guerres dont il raconte moins les splendeurs que la misère. Apaisé par l'Europe, il finit, ô paradoxe, par incarner la sagesse conquise, dans sa résidence de Big Sur, face à l'océan Pacifique.

Quand on songe aux Américains à Paris, on pense d'abord à Henry Miller, qui y arrive en 1928. Fils d'immigrés allemands, il est né en 1891 à New York, en face de Manhattan, dans le quartier de Williamsburg, la Little Germany de Brooklyn. Sa famille, pauvre et austère, vient du Hanovre; son père est tailleur, et Henry Miller désigné pour lui succéder. Le garçon ne l'entend pas ainsi. Il entre dans la fameuse compagnie du télégraphe, la Western Union. À presque quarante ans, il en est le directeur du personnel. Il s'est marié puis a divorcé. On pourrait croire que sa vie est toute tracée.

Pourtant, Henry Miller prend la tangente: il quitte son entreprise, Brooklyn, l'Amérique, et traverse l'Atlantique. Il vient voir la France. Il pense y passer un court séjour. Il va y rester dix ans. C'est là qu'il entrevoit la matière de son œuvre littéraire : Paris est une révélation, de même que l'Europe tout entière. Il visite le Paris touristique, mais aussi le Paris des petits métiers, des petites rues et des petites gens. Et ce tableau agit comme une libération. Adieu le puritanisme, l'hypocrisie, tout ce par quoi, aux États-Unis, il s'est senti bridé et freiné. Il découvre la vie et le sexe.

«Rien de mieux, entre cinq et sept, que d'être bahuté dans cette presse, de suivre une jambe ou une belle poitrine, d'avancer avec le flot, alors que la tête vous tourne. Joie étrange de cette époque: pas de rendez-vous, pas d'invitations à dîner, pas de programme, pas de fric. L'âge d'or où je n'avais aucun ami. Courir çà et là comme une punaise, ramasser des mégots de temps à autre, tantôt furtivement, tantôt faisant le brave; m'asseoir sur un banc et me serrer les tripes pour arrêter les crampes; me promener dans le jardin des Tuileries et bander en regardant les statues muettes. Ou bien errer le long de la Seine, la nuit, errer sans fin, devenir fou de sa beauté, arbres penchés, reflets brisés dans l'eau, la ruée du courant sous les lumières sanglantes des ponts, les femmes endormies sur les seuils des portes, dormant sur des journaux, dormant sous la pluie. Partout, les porches moisis des cathédrales et les mendiants et les poux et les vieilles haillonneuses, tout agitées de danses de Saint-Guy. Charrettes à bras, rangées comme des tonneaux de vin dans les rues adjacentes, l'odeur des fraises sur la place du marché, et la vieille église entourée de légumes et de lampes à arc bleu, les ruisseaux des rues gluants d'ordures, et des femmes en escarpins de soie titubant à travers l'ordure et la vermine, après une nuit d'orgie. »

Henry Miller découvre le quartier de Montparnasse, à la suite d'autres émigrés américains venus et repartis durant les années 1920. Là règnent le sculpteur Zadkine, le photographe Brassaï, Raymond Queneau, Blaise Cendrars, dont il deviendra un des grands amis.

Curieusement, au lieu de s'installer à Paris, il élit domicile à Clichy. Mais Clichy n'est pas un si mauvais choix. C'est dans ce faubourg qu'exerce le docteur Destouches. En 1932, Desstouches, alias Louis-Ferdinand Céline, publie Voyage au bout de la nuit. Pour Miller, c'est une découverte absolue. Il est fasciné par le génie inventif, par la liberté de mots de l'auteur.

«C'est maintenant l'automne de ma seconde année à Paris, je n'ai pas d'argent, pas de ressources, pas d'espérance, je suis le plus heureux des hommes au monde. Il y a un an, si moi je pensais que j'étais un artiste? Je n'y pense plus, je SUIS. Tout ce qui était littérature s'est détaché de moi, plus de livres à écrire, Dieu merci. Et alors, celui-ci, c'est pas un livre? Non, c'est pas un livre, c'est une insulte, un crachat, un coup de pied dans le cul à Dieu, à l'homme, au destin, au temps, à la beauté, ce que vous voudrez. Je m'en vais chanter pour vous, je chanterai pendant que vous crèverez, je danserai sur votre ignoble cadavre. »

Henry Miller se met à écrire. En 1934, il publie Tropique du Cancer (Tropique of Cancer), en langue anglaise, mais chez un éditeur parisien, qui stupéfie ses lecteurs et bouscule le monde des lettres. On ne peut pas dire que le livre fasse scandale en France, mais aux États-Unis, c'est l'opprobre.

À relire Miller aujourd'hui, on a du mal à comprendre comment il a pu choquer autant. Pourtant Tropique du Cancer, puis Tropique du Capricorne, gu'il fait paraître en 1939, sont interdits aux Etats-Unis. Ils n'ont pas été publiés, dans le pays, jusqu'en 1960 et donc lus uniquement de manière clandestine. Qu'y a-t-il donc dans ces deux brûlots? La découverte par Milller des plaisirs de la vie: Tropique du Cancer raconte l'amour, les femmes, les prostituées, et un Paris picaresque, les bistrots, l'accordéon, les petites rues, la banlieue; Tropique du Capricorne, la vie de Miller en Amérique avant son départ. Le vocabulaire est très cru, mais la charge dérangeante de l'écriture toutefois bien moins saisissante que chez Céline.

«Oh, Tania, où sont maintenant ton sexe brûlant, tes épaisses, tes lourdes jarretières, tes douces cuisses si dodues? J'ai un os de six pouces dans la queue. j'aplatirai tous les plis de ton vagin, Tania, et le remplirai de semence. Je te renverrai à ton Sylvestre le ventre douloureux et la matrice sens dessus dessous. Ton Sylvestre, oui, il sait bien allumer un feu, mais moi je sais comment enflammer un sexe. Je te rive des boulons brûlants dans le ventre, Tania. »

Le style rappelle celui des écrivains américains du début du siècle, fascinés par le retour à la nature. Le sexe, pour Miller, c'est la nature, la vie première. Lorsqu'il raconte avec beaucoup de simplicité qu'il a eu une violente érection en croisant une prostituée dans un bistrot, ça n'est en fait ni scandaleux ni exhibitionniste. Miller n'arrête pas de bander, et s'émerveille sans cesse de ce pouvoir. C'est une découverte, comme si, durant les quarante premières annnées de sa vie américaine, il n'avait rien connu du sexe. Mais ce serait un contresens et une injustice de réduire Henry Miller à un homme fasciné par ses érections. C'est la vie humaine qui est au centre d'une œuvre importante, difficile à définir.

Il écrit quelque chose qui n'est ni du roman ni du récit, non plus que des mémoires ou un journal: c'est un peu de tout cela à la fois. C'est un chant avec des temps morts, des temps lents, et des éruptions, un carnet de notes, carrnet de voyage d'un Américain qui n'en croit pas ses yeux. Il est ébahi par ce que Paris et l'Europe lui offrent: la liberté, la différence, l'insolite, l'exotique, au point de bouleverser son humeur, son esprit, son caractère.

Alors qu'il vivait de manière très confortable aux États-Unis, il a accepté de «crever de faim» pour pouvoir rester à Paris. Heureusement, il est aidé. Ses amis artistes de Montparrnasse le nourrissent. Il profite des femmes également, et en particulier de celle qui devient sa muse. Écrivain, américaine également, Anaïs Nin est la fille d'un pianiste catalan et d'une danseuse danoise. Elle l'entretient et l'accommpagne.

«Tu es comme l'ours, Henry: tout de douceur dans une enveloppe de dureté, avec une délicieuse rugosité suave qui me fait fondre. Je suis désolée que tu n'aies pas poussé plus avant la lecture du journal. Il y avait des tas de choses tendres sur toi. Je ne comprends toujours pas très bien ce qui t'a arrêté. Hier soir, je me demandais comment je pourrais te montrer, te montrer par le moyen qui me coûterait le plus, que je t'aime. Et je n'en ai trouvé qu'un seul: t'envoyer de l'argent pour que tu le dépenses avec une femme. J'ai pensé à la Noire, je l'aime bien, parce qu'au moins elle m'attendrit. Je t'en prie, ne va pas avec une putain trop bon marché, trop ordinaire. Et puis, ne m'en parle pas, puisque je suis persuadée que tu l'as déjà fait. Laisse-moi croire que c'est moi qui t'ai fait ce cadeau. »

Les livres d'Henry Miller, sorte d'autobiographies de ses émotions, influencent l'art littééraire parce qu'ils agissent comme une véritable délivrance pour les écrivains: ils brisent les modèles et les structures établis. Henry Miller produit beaucoup : Il publie, entre les deux Tropiques, Aller-retour New York en 1935, Printemps noir (Black Spring, 1936), Max et les phagocytes (Max and the White Phagocytes, 1938) et L'Œil cosmologique (The Cosmological Eye, 1939).

«J'ai parcouru les rues de bien des pays du monde; nulle part je n'ai connu dégradation, humiliation plus grandes qu'en Amérique. Je les vois, toutes ces rues d'Amérique, combinant toutes ensemble une énorme fosse d'aisances,

la fosse d'aisances de l'esprit, pompant et drainant toutes choses au royaume de la merde éternelle. Et sur ce cloaque, le démon du travail tisse et jette une trame magique. Usines et palais surgissent côte à côte avec les fabriques de munitions et de produits chimiques, les aciéries, les sanas, les prisons, les asiles d'aliénés. Le continent entier n'est qu'un cauchemar à fabriquer la plus grande misère possible pour le plus grand nombre de gens possible. »

Tropique du Capricorne, c'est la condamnation totale de la société américaine coercitive, de son puritanisme, de ses freins, de sa machine, de la loi de l'argent et du succès. Personne, avant lui, n'a critiqué de manière aussi radicale le système dans son ensemble. Il faut d'ailleurs reconnaître que la remise en cause des États Unis est toujours venue des Américains eux-mêmes. Or, Miller, même s'il est le fils d'immigrés allemands, est l'Américain type. Il a vécu quarante ans dans son pays, et sa stature, son langage et même sa façon de prendre de la disstance avec son pays sont très nord-américains.

En 1941, Miller écrit Le Colosse de Maroussi (The Colossus of Maroussi) chez son ami Lawrence Durrell, l'auteur irlandais du Quatuor d'Alexandrie, après un voyage en Grèce deux ans auparavant. Là encore, s'appuyant sur son expérience vécue, il innove du point de vue de la forme. Parti de Paris, s'étant promené en France, Miller découvre bientôt la Grèce. À ses yeux, la Grèce est moins le berceau de la civilisation occidentale, la descendante du monde antique, qu'un lieu de rencontres extraordinaires. Il est ébloui par la lumière, et séduit par les Grecs modernes. Il se passionne pour les hommes et les femmes, les ports, les petits pêcheurs. Il goûte le spectacle du retour de pêche, des poissons qui sèchent vendus à la criée, des petits bals spontanés dans les villages, du vin qui coule à flots. Ses rencontres, il en fait des personnages, à l'image de Katsimbalis, figure centrale du Colossë de Maroussi. L'épicurien Miller écrit : «La nourriture me donne une joie inouïe.» Il a compris, comme les Grecs, la beauté de la nature, de la terre, des fruits, de la vie. Katsimbalis est capable de parrler seul, de monologuer pendant des heures :

Miller en est absolument abasourdi. Pourtant, s'il ne s'en rend pas compte, il lui ressemble. Ses textes sont, eux-mêmes, comme d'immennses monologues! Tous ses livres offrent un récit de ses propres expériences, de sa propre vibration par rapport à l'existence, que ce soit Le Colosse de Maroussi, les deux Tropiques ou la trilogie dite Crucifixion en rose (The Rosy Crucifixion), qu'il écrira après la guerre.

Le second conflit mondial le contraint à retourner dans son pays. Avec le peintre Abe Rattner, car il adore la compagnie des peintres et des sculpteurs, il effectue un grand voyage à travers l'Amérique. Ensemble, ils sont horrifiés par ce qu'ils voient du conformisme américain, de l'esclavagisme, du diktat de la réussite sociale. En 1945, à la manière des grands romans réalistes du XIXe siècle, il livre un portrait impitoyable des grandes villes de son pays, de la machine qui avance, fournit, produit, fabrique, et l'effraie, dans Le Cauchemar climatisé (The Air Conditioned Nightmare), puis dans Souvenir, souvenirs, en 1947. Au fond, il se sent désormais très étranger dans son pays natal.

Il revient ensuite d'une manière assez étonnnante à l'autobiographie, qui est, on l'a commpris, sa principale veine. Des deux volets de son existence, racontés dans les Tropiques, il livre une seconde version en trois parties, qu'il titre de manière pittoresque La Crucifixion en rose, composée de Plexus, Nexus et Sexus, qui paraisssent respectivement en 1949, 1953 et 1960. Il s'y raconte de manière un peu répétitive, sur deux mille pages.

Henry Miller aura ensuite une troisième vie, dans sa terre d'origine qu'il a si radicalement rejetée. Après de nombreux détours, il trouve le paradis sur terre, à Big Sur, en Californie, face au Pacifique. L'endroit est très beau, et plus encore, magique. Miller le décrit comme, au XIXe siècle, Thoreau ou Whitman racontaient la grande nature américaine, «la grandeur, le silence, les oiseaux, les séquoias à feuilles perrsistantes, le bleu du ciel, le faucon, l'aigle et le busard, les traînées de brouillard, la mer de nuages qui s'étend à l'infini, recouvrant tout l'océan, l'air est frais, vivifiant, le ciel pur, le soleil encore assez chaud pour qu'on puisse vivre à moitié nu ».

Miller, cet homme au visage ridé, presque oriental, est maintenant sur la fin de sa vie, et se passionne pour le bouddhisme, le taoïsme, le zen, les civilisations des Japonais et des Chinois, tout en continuant à vivre avec toutes sortes de femmes, bien plus jeunes que lui, souvent venues de l'Orient. Il tient alors un discours, nouveau, par lequel il deviendra, par la suite, le précurseur et le gourou des hippies et des beatniks. Il publie encore Jours tranquilles à Clichy (Quiet Days in Clichy) en 1956, Le Temps des assassins (The Time of Assassins, 1956), livre consacré à Rimbaud ; Big Sur et les oranges de Jérôme Bosch (Big Sur and the Oranges of Hieronymus Bosch) en 1957, où il décrit Big Sur, le Jardin des Délices où vivent ceux qui se sont éloignés du «cauchemar climatisé». Il édite également ses nombreuses correspondances, avec Lawrence Durrell (Une correspondance privée, 1963) ou avec Anaïs Nin (Lettres à Anaïs Nin, 1965). Il meurt en 1980, en Californie, après être passé du statut d'écrivain maudit et pornographique à celui de prophète.

Ce serait un contresens de ne retenir de Miller que sa découverte émerveillée de Paris et du sexe. Sa philosophie de la vie, son panthéisme, son épicurisme, sa liberté face à la langue et sa réflexion sur les hypocrisies et sur les barrières puritaines en font une figure majeure, singulière, unique. Si Miller n'a pas été un écrivain au sens traditionnel et académique du terme, il fut certainement un pionnier, et pour beaucoup, un modèle, presque un sage.

JAMES JONES ET IRWIN SHAW

Après la Seconde Guerre mondiale, des Américains continuent à venir s'installer à Paaris, perpétuant ainsi - et imitant - la tradition de leurs aînés des années 1920, Hemingway et Fitzgerald. On pense notamment à James Jones, qui vécut là une grande partie de sa vie. James Jones fait partie de ces écrivains dont le titre des œuvres, grâce au cinéma en particulier, est davantage connu que le leur propre. Jones est l'auteur de Tant qu'il y aura des hommes (From Here to Eternity, 1951), de Comme un torrent (Some Came Running, 1957) et de Mourir et crever (La Ligne rouge, The Thin Red Line, 1962).

 
James Jones avait toutes les raisons d'intéresser l'industrie cinématographique : il possède un sens extraordinaire du récit et toute son œuuvre tourne autour de la guerre du Pacifique. Pour lui, comme pour beaucoup, c'est dans la guerre que les hommes se révèlent.

Né en 1921 dans l'Ilinois, il voit son avenir remis en cause par la grande dépression, pendant laquelle sa famille est ruinée. Plutôt que de faire de coûteuses études, il s'engage dans l'armée. Il est ainsi GI à Pearl Harbor ainsi qu'à Guadalcanal, d'où il revient blessé. Tant qu'il y aura des hommes, gros livre, réaliste et passionnnant, détaille la vie quotidienne des conscrits américains dans les casernes de Pearl Harbor, à la veille du bombardement surprise effectué par les Japonais. On ne « lâche » pas les héros de James Jones, et les Américains vont lui faire un triomphe. Du jour au lendemain, cet autodiidacte devient une gloire littéraire.

À Paris, James Jones écrit ses romans, et fédère, un peu comme Gertrude Stein les décennies précédentes, les écrivains américains expaatriés. Mais le temps lui est compté: comme d'autres de ses collègues, il se laisse ruiner par l'alcool. En douze ans, il publie ses trois romans, que des « grands» du cinéma s'approprieront: Fred Zinnemann, Vincente Minnelli, ou récemmment Terrence Malick. Les personnages de James Jones passeront ainsi à la postérité sous les traits de Montgomery Clift, Frank Sinatra, Dean Martin, Shirley MacLaine ou encore Sean Penn. James Jones est mort en 1977 à l'âge de cinquante-cinq ans.

Citons, pour finir, le nom et l'œuvre d'Irwin Shaw. Lui aussi a fait la guerre, mais en Europe. De cette expérience, il tire un premier roman, The Young Lions (Le Bal des maudits en 1948), qui devient aussi un grand best-seller et sera adapté au cinéma avec Marlon Brando, Montgomery Clift et Dean Martin.

Philippe Labro & Olivier Barrot: Lettres d’Amérique