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poésie

par Jean-Yves Masson

LA RUSSIE INCARNÉE

Anna Akhmatova, l’une des grandes voix du XXe siècle

La Musique     

à D. D. Ch.

Il y a en elle un miracle qui brule.

Sous nos yeux, elle forme un cristal.

C'est elle-même qui me parle

Quand les autres ont peur de s'approcher.

Quand le dernier ami a détourné les yeux

Elle est restée avec moi dans ma tombe.

Elle a chanté comme le premier orage

Ou comme si les fleurs se mettaient toutes à parler.

Anna Akhmatova (1889-1966)

Ce qu'Anna Akhmatova dit de la musique, dans ce poème de 1958 dédié à Chostakovitch, tous ses lecteurs peuvent le dire de sa poésie : non seulement ceux qui lurent clandestinement ses poèmes au temps où, célèbre dans toute la Russie, ells était réduite au silence par la censure stalinienne, mais tous les autres, ses lecteurs d'aujourd'hui et de demain.

Depuis que Paul Valet, en 1966, traduisit (chez Minuit) le Requiem qui la révéla en France, la renommée d’Akhmatova n'a cessé de s'étendre à travers le monde. Au fil des ans, Sylvie Tecoutoff on Christian Mouze s'attachèrent à la traduction de recueils entiers, tandis que Jeanne et Fernand Rude (chez Maspero en 1982) ou Jacques Burko (ed. Orphée/La Différence, 1997) proposaient des anthologies. Venant après eux, le choix de poèmes que publie aujourd'hui Jean-Louis Backes dans la collection Poésie/Gallimard est le plus complet qu'on ait eu à ce jour; it donne à lire environ la moitié de 1'oeuvre de celle qui est peut-être le plus grand poet russe du xxe siècle.

Même si 1'on hésite à bon droit à la placer au-dessus de Blok, de Mandelstam, de Tsvetaieva on de Pasternak, qui furent ses amis, Anna Akhmatova possède au supreme degré cette qualité qu’on nomme la grandeur; elle éclate à toutes les pages des Entretiens avec Anna Akhmatova publiés par Lydia Tchoukovskaia (éd. Albin Michel, 1980), témoignage irrémplacable qu'il serait urgent de reéditer. La grandeur, en poésie, consiste peut être simplement à traiter le réel avec une intransigeance absolue. De ses vers, Anna Akhmatova affirmait qu'ils avaient bien pu être parfois « amertume et mensonge/Mais consolation, jamais >>.

Après dix-sept mois passés à faire la queue devant les prisons de Léningrad en 1938 pour rendre visits à son fils, pendant que «1'innocente Russie se tordait de douleur/sous les bottes sanglantes », celle qui avait été dans sa jeunesse « la joyeuse pécheresse » de Tsarskoie Selo et le plus virtuose des poètes de 1'école acmeiste devint la Russie en personne. Pas moins. Parce que 1'époque 1'exigeait d'elle. Parce que la Russie réelle, comme la ville légendaire de Kitège, s'était faite invisible, accessible seulement aux coeurs purs. Nul mieux que Jean-Louis Backes, traducteur de Pouchkine et de tant d'autres poètes, ne pouvait offrir de cette oeuvre une vision aussi sobre et juste, restituant dans sa plénitude 1'extrême tension de ces vers.

A quand des Poèmes complets d’Akhmatova?

Requiem, Poème sans héros

et autres poèmes

Anna Akhmatova (1889-1966) Présentation, choix et traduction de Jean-Louis Backes

Ed. Gallimard, « Poesie », 9,30 €.

C'est le goût de vivre qui est blessé dans ces heures-là. C'est toujours l'amour en nous qui est blessé, c'est toujours de l'amour que nous souffrons même quand nous croyons ne souffrir de rien.
Luôn luôn niềm vui sống bị thương tổn vào những giờ phút đó. Luôn luôn chúng ta đau khổ vì tình yêu trong chúng ta, ngay cả khi chúng ta tưởng rằng, chẳng thể nào đau khổ.
Mais, même dans ces heures-là, je ne te perds pas complètement: tu es, mon amour, la joie qui me reste quand je n'ai plus de joie.
Em là niềm vui của anh khi anh chẳng còn một nguồn vui nào.
Un jour je te dirai à quel point je t'oublie dans le premier visage venu et à quel point je t'y retrouve.
Một ngày nào anh sẽ nói cho em nghe, anh quên em tới mức nào, khi vừa thấy bóng một cô thiếu nữ trờ tới, và tới mức nào, anh lại nhìn thấy em trong dáng dấp đó.
Christian Bobin: L’inespérée
[Note: Những câu tiếng Việt, chỉ là mô phỏng những câu tiếng Tây, dành riêng cho CM. NQT]

MUSIC
for D.D.S.

A flame burns within her, miraculously,
While you look, her edges crystallize.
She alone will draw near and speak to me
When others are afraid to meet my eyes.
She was with me even in my grave
When the last of my friends turned away,
And she sang like the first storm heaven gave,
Or as if flowers were having their say.
1958
Dimitri D. Shostakovitch: 1906-1975, great Russian composer.
[Anna Akhmatova: Poems, selected and translated by Lyn Coffin; introduction by Joseph Brodsky]
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poésie
par Jean-Yves Masson
LA RUSSIE INCARNÉE
Anna Akhmatova, l'une des grandes voix du xxe siècle

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La Musique
à D. D. Ch.
Il y a en elle un miracle qui brûle.
Sous nos yeux, elle forme un cristal.
C'est elle-même qui me parle
Quand les autres ont peur de s'approcher.
Quand le dernier ami a détourné les yeux
Elle est restée avec moi dans ma tombe.
Elle a chanté comme le premier orage
Ou comme si les fleurs se mettaient toutes à parler.
Anna Akhmatova (1889-1966)
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Âm nhạc
Tặng Shostakovitch

Có ở trong nàng một phép lạ rực cháy
Dưới mắt chúng ta nàng tạo thành một khối pha lê
Chính là nàng đang nói với tôi
Trong khi những kẻ khác không dám tới gần.
Khi người bạn cuối cùng quay mặt
Nàng ở với tôi trong nấm mồ.
Nàng hát như cơn dông bão đầu tiên
Như thể tất cả những bông hoa cùng một lúc cùng cất tiếng.


Ce qu'Anna Akhmatova dit de la musique, dans ce poème de 1958 dédié à Chostakovitch, tous ses lecteurs peuvent le dire de sa poésie: non seulement ceux qui lurent clandestinement ses poèmes au temps où, célèbre dans toute la Russie, elle était réduite au silence par la censure stalinienne, mais tous les autres, ses lecteurs d'aujourd'hui et de demain.
Điều mà Anna Akhmatova nói về âm nhạc, trong bài thơ tặng nhà soạn nhạc Chostakovich, tất cả những độc giả có thể coi như là điều bà nói về thơ của bà, không chỉ những độc giả đọc thơ bà lén lút, vào cái thời mà, nổi tiếng khắp nước Nga, bà bị bắt buộc phải câm lặng, do chế độ kiểm duyệt của Stalin, nhưng tất cả những độc giả khác nữa, bây giờ, hay sau này.
Depuis que Paul Valet, en 1966, traduisit (chez Minuit) le Requiem qui la révéla en France-region>,la renommée d'Akhmaatova n'a cessé de s'étendre à travers le monde. Au fil des ans, Sylvie Técoutoff ou Christian Mouze s'attachèrent à la traduction de recueils entiers, tandis que Jeanne et Fernand Rude (chez Masspero en 1982) ou Jacques Burko (éd. Orphée/La Différence, 1997) proposaient des anthologies. Venant après eux, le choix de poèmes que publie aujourd'hui Jean-Louis Backès dans la collection Poésie/Gallimard est le plus complet qu'on ait eu à ce jour; il donne à lire environ la moitié de l'œuvre de celle qui est peut-être le plus grand poète russe du xxe siècle.
Même si l'on hésite à bon droit à la placer au-dessus de Blok, de Mandelstam, de Tsvetaïeva ou de Pasternak, qui furent ses amis, Anna Akhmatova possède au suprême degré cette qualité qu'on nomme la grandeur; elle éclate à toutes les pages des Enntretiens avec AnnaAkhmatova publiés par Lydia Tchoukovskaia (éd. Albin Michel, 1980), témoignage irremplaçable qu'il serait urgent de rééditer. La grandeur, en poésie, consiste peuttêtre simplement à traiter le réel avec une intransigeance absolue. De ses vers, Anna Akhmatova affirmait qu'ils avaient bien pu être parfois « amerrtume et mensonge/Mais consolation, jamais ».
Après dix-sept mois passés à faire la queue devant les prisons de Leningrad en 1938 pour rendre visite à son fils, pendant que « l'innocente Russie se tordait de douleur/sous les bottes sanglantes», celle qui avait été dans sa jeunesse « la joyeuse pécheresse» de Tsarskoïe Selo et le plus virtuose des poètes de l'école acméiste devint la Russie en personne. Pas moins. Parce que l'époque l'exigeait d'elle. Parce que la Russie réelle, comme la ville légendaire de Kitège, s'était faite invisible, accessible seulement aux cœurs purs. Nul mieux que Jean-LouisBackès, traducteur de Pouchkine et de tant d'autres poètes, ne pouvait offrir de cette œuvre une vision aussi sobre et juste, restituant dans sa plénitude l'extrême tension de ces vers.
À quand des Poèmes complets d'Akhmatova ?
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Requiem, Poème sans héros et autres poèmes
Anna Akhmatova (1889-1966) Présentation, choix et traduction de Jean-Louis Backès
Ed. Gallimard, « Poésie », 9,30 €.
[Le magazine Littéraire, Avril 2007]