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«
le devoir de l'écrivain
est de rapporter l'horrible vérité,
le devoir civique du lecteur est d'en prendre connaissance »
"Bổn phận nhà văn là trình ra sự thực ghê rợn, bổn phận công dân của
độc giả, là biết đến sự thực này"
LES LIVRES DU MOTS ESSAIS
LA PUBLICATION DES CARNETS DE GUERRE de Vassili Grossman est
l'occasion de suivre l'auteur de Vie et destin, de Moscou à Berlin, pendant
la
Seconde Guerre mondiale, où it découvre "l'impitoyable verité de la
guerre".
Le dévoir
de l'écrivain
Carnets de guerre.
De
Moscou a Berlin,
1941-1945
Vassili Grossman
Traduits du russe par Catherine Astroff et Jacques Guiod
Textes présentés et choisis par Anthony Beevor et Luba
Vinogradova
éd. Calmann-Levy, 386 p., 22 €.
L’aura
actuelle de Vassili Grossman, écrivain soviétique juif, n'a d'égale que
la censure dont it a été victime après sa mort, survenue en 1964. Et si
les Franqais ont pu découvrir
dès les années 1980 Vie et destin, fresque monumentale de la sociéte
soviétique
plongée dans la Seconde Guerre mondiale, les Russes ont du attendre
2005 pour
en lire la version intégrale. Aujourd'hui paraissent des Carnets de
guerre
inedits, compilés par l'historien britannique Anthony Beevor. Vassili
Grossman étant l'auteur, avec Ilia Ehrenbourg, du Livre noir sur les exactions nazies
contre
la population soviétique, on comprend l'intéret de plonger au coeur
d'une expérience
de guerre qui a bouleversé le destin tout tracé d'un écrivain
initialement «
dans la ligne »...
Le
parcours de Vassili Grossman, A l'époque correspondant de
guerre de L'Étoile rouge (le
quotidien de 1'Armée rouge), est rythmé par les
cinq actes de la guerre à l'Est: la débacle inattendue de 1941, la
résistance désespérée
à Stalingrad en 1942,l'offensive victorieuse de 1943 en Ukraine, la
libération
d’une Europe excisée de ses juifs et enfin l'amère victoire sur le
nazisme à
Berlin.
On découvre un visage peu connu de Vassili Grossman, investigateur de
choc sur tous les fronts, échappant par miracle au danger -
encerclements,
bombardements, fausses routes et balles perdues. Même s'il proteste
contre les
coupes de ses articles, ce journaliste hautement apprecié des soldats
n'hésite
pas à suivre une semaine entière le tireur d'élite Tchekhov dans le
déluge de
feu de Stalingrad.
Les
Carnets, en dépit d'une probable autocensure, mettent en évidence
l'envers du décor tandis que les articles de Vassili Grossman etaient
construits pour les besoins de la mobilisation. Il ne cesse d'ailleurs
de
rappeler, avec un orgueil évident, l'importance de son combat la plume
à la
main. Combat qui correspondait a un idéal personnel tout en étant
conforme à
1'image de 1'intellectuel soviétique diffusée par la propagande... Mais
I'ecrivain fut gravement blessé quand son roman Le peuple est immortel, sur le
recul soviétique de 1941, élu à l'unanimité pour le prix Staline, se
vit éliminé par Staline lui-même au profit
de La Chute de Paris
d'Ehrenbourg. Ce dernier, qui possédait un flair sur pour
juger des situations politiques, traitait d'un sujet moins dangereux.
la défaite
francaise de 1940.
L'alternance
entre carnets exhumés des archives, lettres,
articles et témoignages, est séduisante. Mais si le style admirable et
le don
d'observation de l'écrivain se passent de commentaires, la lecture
qu'en fait
Anthony Beevor est réductrice (il souligne en permanence les sources
d'inspiration de Vie et destin ou les signes du reniement de Grossman),
et l'on
regrette qu'il se soit contente de sélectionner des textes et de les
assortir de
résumés pour établir une sorte de continuite chronologique. Une édition
intégrale
des articles, brochures et carnets dotée d'un appareil critique aurait
éte plus
intéressante.
Au
fil des pages, le désarroi de la défaite et l'indignation
contre les incuries font place a l'espoir décu d’une libération
(militaire)
sans liberté (politique) et à la révelation du massacre des juifs par
les
nazis. Mais les carnets sont surtout des Choses vues où la barbarie
contamine
tout un chacun, ou le courage individuel tourne souvent au déchainement
d’une
violence inhumaine. Une terrible image revient a deux reprises - celle
de la
terre boursouflée qui vomit les restes des corps qu'elle ne parvient
plus à
absorber- et crée ainsi un lien inattendu entre les Allemands en
déroute sur la
Berezina en 1943 et les juifs assassinés a Treblinka... « L'impitoyable
vérité
de la guerre » s'efface toutefois devant la logique insoutenable du
camp d'extermination,
que Vassili Grossman découvre en juillet 1944. Son article « L'enfer de
Treblinka
» est censuré: Staline, déjà, refuse qu'on distingue 1'Holocauste des
sevices
infliges aux Soviétiques dans leur ensemble. La profession de foi d'un
auteur
profondément ébranlé - « le devoir de l'écrivain est de rapporter
l'horrible vérité,
le devoir civique du lecteur est d'en prendre connaissance »- résonne
avec
d'autant plus de forces.
Sacha Bierman
Le Magazine Littéraire, Avril, 2007
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