Un entretien avec George Steiner: la voix
http://laphilosophie.blog.lemonde.fr/2013/05/10/un-entretien-avec-george-steiner-la-voix/
On trouvera ici l'enregistrement
intégral de l'entretien avec George Steiner paru dans le supplément
"Culture&Idées" du Monde daté samedi 11 mai. Cet enregistrement a
été effectué le 12 avril 2013 au domicile du critique et philosophe, à
Cambridge (Royaume-Uni).
Dans sa demeure George Steiner montre volontiers au visiteur les deux
« trésors » auxquels il tient le plus et qui, d'une certaine
manière,
résument sa vie de critique et de nomade : une carte signée
"Sigmund
Freud" félicitant son père pour son mariage à Vienne ; un des très
rares exemplaires de la bibliothèque de Kafka que l'auteur de La
Métamorphose a signée de son patronyme suivi d'un point, comme
c'est
parfois l'usage dans les pays germanophones...
Le point final est pourtant loin
d'être mis sur le parcours de George Steiner, fils des tribulations de
son
époque. Ce parcours a commencé avec sa naissance à Paris en 1929 et son
éducation française (il fut élève au lycée Janson-de-Sailly, dans le
seizième
arrondissement de la capitale). En 1940, il suit les cours du lycée
français de
New York où il croise d'autres exilés comme Claude Lévi-Strauss. George
Steiner
aura traversé bien des pays au cours de son existence. Après des études
à
l'Université de Chicago puis à Harvard, il se retrouve à Oxford. Un
temps
journaliste pour l'hebdomadaire The Economist, il rédige sa
thèse qui
donnera La Mort de la tragédie (1961), récemment rééditée en
« Quarto » chez Gallimard (« Le Monde des livres »
du 15
mars 2013).
La réflexion sur le théâtre
occupe
une grande partie de sa vie de critique littéraire et d'universitaire
comme le
montre également ses Antigones de 1984 (également réédité en
« Quarto »). Polyglotte autant que théoricien de la
traduction (Après
Babel, Albin Michel, 1998), né avec un handicap (son bras droit est
atrophié), G. Steiner a reçu très tôt de son père le goût de la culture
gréco-latine et une préoccupation constante pour le sort des humanités
et des
langues dans une modernité de plus en plus dominée par les sciences et
la
technique.
Peu soucieux de respecter les
habitudes et les prudences académiques, maniant formules cinglantes et
ironie
provocante, il n'a pas hésité, dans le but de comprendre la violence
d'un
vingtième siècle où la civilisation la plus raffinée a pu s'aboucher
avec la
plus terrible barbarie, à dialoguer avec les figures de
« maudits »
ou de disgraciés comme l'écrivain fasciste et antisémite Lucien Rebatet
ou l'ex-secrétaire
de Charles Maurras, le philosophe royaliste Pierre Boutang. Auteur de
quelques
fiction, cet intellectuel qui dit s'inspirer aussi « sans
illusion » du philosophe allemand Heidegger compromis avec le
régime
nazi, n'a pas hésité non plus à mettre en scène dans Le transport
de A.H. (Julliard/L'Âge
d'Homme, 1981) un Adolf Hitler vieillissant ayant survécu dans la forêt
amazonienne.
Dans les dernières années, son
œuvre
toujours foisonnante s'est orientée vers une réflexion d'ordre
philosophique
sur l'acte de penser ( Dix raisons (possibles) à la tristesse de
pensée,
Albin Michel, 2005 ; Poésie de la pensée, Gallimard,
2011 ).
En passionné de sciences, dont Cambridge est la citadelle avec son
impressionnante liste de prix Nobel, parmi les savants dont il apprécie
la
compagnie, George Steiner en dépit de l'inquiétude que le présent lui
inspire
se veut tout sauf un passéiste. S'il explore la pensée à travers la
musique des
idées et des mondes, il le fait aussi avec les neurosciences.
Dans ses Fragments (un peu
roussis)
(Gallimard, 2012) qui rassemblent ses derniers aphorisme, l'homme
n'est-il pas
par exemple reparti au combat pour que « l'euthanasie »
soit « une
option élémentaire » ? « C'est alors seulement »,
écrit-il, « que la mort sera bel et bien une amie, une hôte
honorée,
même à l'aube ».