La première fois que j’atterris de nuit à Diên Biên Phu, le 19 mars 1954, tout se passe à merveille… En une nuit, les pilotes réussissent à évacuer une centaine de blessés sans se faire repérer par les Viêt-minh, c’est l’euphorie ! Lorsque nous y retournons, dans la nuit du 26 au 27 mars, le C47 se pose, mais les ambulances transportant les blessés ne sont pas au rendez-vous à cause d’un problème radio. Au bout de trois minutes, nous avons ordre de repartir. L’avion redécolle au moment où les ambulances arrivent. Je suis consternée. De retour à Hanoï, j’insiste pour faire partie du vol le lendemain. Nous décollons à 4 h 15 du matin, le 28 mars, et nous nous posons à 5 h 45 à Diên Biên Phu.
A lire aussi :Pierre Schoendoerffer, l'adieu aux armes
A l’atterrissage, l’avion dévie légèrement de sa trajectoire et heurte un piquet de barbelés qui crève le radiateur d’huile. Impossible de repartir. Les soldats m’accueillent dans le camp avec beaucoup de respect. On me donne un casque pour éviter les éclats d’obus. Je suis invitée à déjeuner dans le bunker du colonel Langlais, le commandant des parachutistes : du corned-beef, c’est tout ce que nous avons au front. Je suis la seule femme. Avec les prostituées vietnamiennes du bordel militaire de campagne (BMC). Mais cela je ne l’apprendrai que bien après.
"Je reste enfermée pendant presque deux mois sous la lumière artificielle de l’hôpital souterrain"
La troisième nuit, je découvre l’enfer des bombardements, terrée dans un couloir de « l’Antenne », l’hôpital souterrain. Je pense aux nombreux blessés qui vont arriver à l’aube alors que l’Antenne est déjà pleine. Au bout d’une semaine, comme je ne parviens plus à trouver le sommeil la nuit, on me donne un somnifère et j’ai l’impression que le brancard qui me sert de lit s’effondre sous moi. Je reste enfermée pendant presque deux mois sous la lumière artificielle de l’hôpital souterrain, au chevet des amputés, des traumatisés crâniens et des blessés de l’abdomen. Je me souviens de la prise de Diên Biên Phu, le 7 mai, où je suis faite prisonnière. Je reste auprès des blessés jusqu’au 24 mai 1954, date à laquelle on m’évacue, sous la pression internationale, vers Luang Prabang, au Laos. C’est là-bas qu’un photographe militaire capture la fameuse photo qui fait de moi une « héroïne », un qualificatif que j’ai encore du mal à assumer car j’estime que je n’ai fait que remplir ma mission.
« Je n’avais pas la vocation de devenir secrétaire dans un bureau, il fallait que je choisisse une voie qui ait un sens. J’ai passé mon diplôme d’infirmière et c’est une amie convoyeuse de l’air qui rentrait pour se marier qui m’a encouragée à faire ce métier. L’Indochine a été ma première mission de guerre. »
« C’est à Hanoï, un an plus tôt, que je rencontre mon futur mari, le capitaine d’infanterie de marine Jean de Heaulmes. Il me demandera en mariage trois ans plus tard. Nous sommes toujours ensemble. »