Nhật
Ký Tang. Nỗi Đau Mẹ
Inédites
jusqu'à ce jour, voici
les notes rédigées par Roland Barthes après la mort de sa mère. N'ous
en
publions des extraits. Et Philippe Sollers a lu un autre inédit de
Barthes, qui
relate son voyage dans la Chine de Mao
*
Elle
était tout, pour lui. Sa
mère (il avait 1 an quand son père est mort) mais
aussi la femme dont il avait partagé
l'existence pendant plus de
soixante ans; et enfin, lorsqu'elle
devint malade et qu'il la soigna, sa fille. A elle seule, une triade,
un
gynécée.
Pour
l'auteur des “Mythologies”,
la dissparition, le 25 octobre 1977, d'Hemiette Barthes, née Binger, à
l'âge de
84 ans, fut un drame, doublé d'un traumatisme. Dès le lendemain, le
fils
éperdu, le veuf éploré (“26
octobre : Première nuit de noces. Mais
première nuit de deuil?”), commence à dresser, sur des fiches,
l'étendue de
ce désastre intime. Ce sont les fragments d'un discours douuloureux, le
degré
zéro du désespoir, la chammbre claire de la nuit.
Jusqu'à
sa mort accidentelle,
en 1980, Roland Barthes ne sera plus le même, se demandant sans cesse
ce qui
justifie encore d'enseigner au Collège de France ou d'écrire des
livres. Alors
qu'il s'apprête à rédiger, à partir des photos de sa mère, “la Chambre
Claire”,
il note, le 29 mars 1979 :« Je vis sans
aucun souci de la postérité, aucun désir d'être lu plus tard, aucune
envie de
"monument" », et il ajoute : «Mais je ne peux supporter qu'il en soit
ainsi pour mam. » C'est pour que « mam » vive encore qu'il ne cède
pas à
l'impérieux besoin de disparaître, et c'est parce que le souvenir de la
disparue - sa bonté, sa généérosité, son «
bleu Cézanne» - dépend de lui seul qu'il écrit encore.
Tel
qu'il a été conservé,
sans qu'on sache toujours si Barthes eût souhaité le publier, ce “Journal de deuil” est à la fois une
poignante lamentation, un exercice de piété filiale, un devoir de
mémoire,
l'aveu à peine dissimulé de son homosexualité, et une réflexion sur
l'irréductibilité de sa souffrance à la doxa du jamais plus, à tous les
préjugés concernant la perte, l'abandon, le manque et le prétendu
courage dans
l'adversité.
De
Paris à Urt (au Pays
basque), avec quelques détours par le Maroc et la Tunisie, Roland
Barthes
explore, en phrases brèves et cliniques, la singularité, l'immensité de
son
chagrin. Il n'a plus de désirs, il n'a que des larmes:
il parle du deuil comme d'une maladie, «une
sclérose»; il s'étonne et ne
supporte pas de survivre à “mam”; il
ne croit trouver que chez Proust l'équivalent de son désarroi; il n'a
plus le
goût de voyager, veut rester dans l'appartement où ils ont vécu afin de
prolonger, du ménage jusqu'aux repas, l'ordre maternel, «
cette alliance de l'éthique et de l'esthétique qui était sa manière
incomparable de faire le quotidien». Lorsque ce Journal s'arrête,
deux ans
après la mort de sa mère, Roland Barthes exprime, avec les mêmes
larmes, le
même désespoir. Le temps n'a donc rien changé, rien apaisé, rien guéri.
L'écrivain ne tourne pas la page. Voici pourquoi, peut-être, son
Journal
demeure inachevé.
Dans
“Barthes par Barthes”
(1975), l'écrivain disait des fragments que ce sont des pierres disposées
sur le pourtour du cercle: “Je m’étale en rond, tout mon
petit univers
en miettes. Au centre, quoi? » Sa mère.
JÉRÔME
GARCIN
«
Journal de deuil», par
Roland Barthes, Seuil-Imec, texte établi par Nathalie Léger; 276 p.,
19,50
euros (en librairie le 5 février).
Le
Nouvel Observateur 29
Janvier-4 Février 2009
*
LA COLÈRE DE
FRANÇOIS WAHL *
“Roland
aurait été révolté”
Un
auteur est absolument
libre de décider de ce qu'il veut publier ou pas. Et Roland Barthes
avait
là-dessus une doctrine très stricte. D'une part, il tenait à ce que ne
paraisse
que ce qui est véritablement écrit. D'autre part, le registre de
l'intime n'était
en aucun cas destiné à la publication. Cela ne veut pas dire qu'il ne
pensait
pas faire éventuellement de ses notes un usage litttéraire. Mais entre
le jeté
sur la page et l'imprimé, il y avait pour lui une différence de statut
absolue.
Le
fait est que les textes
qui paraissent n'étaient pas parmi les dossiers publiés ou à publier
que nous
avons triés à sa mort, avec son frère. A ma connaisssance, il ne les
avait
montrés à perrsonne. Ils sont donc été trouvés ailleurs, et remis à
l'Imec,
avec les autres. Ce n'aurait en tout cas pas dû conduire à une
publication; au
mieux, et plus tard, à une consultation par les chercheurs. Pour
employer le
genre d'image qu'aimait Roland, je vois dans ces pratiques la
démangeaison de
l'hyène; particulièrement répandue parmi les éditeurs, les professeurs
et les
"amis".
Si
j'interviens, c'est parce
que Roland m'avait très explicitement demandé de veiller à ce qu'il n'y
ait pas
de dérapage dans les publications après sa mort. Ajoutant qu'il ne
pouvait pas
l'écrire pour ne pas "blesser [s] on
frère". Je
me retrouve ainsi dans la situation absurde d'être investi
d'une responsabilité sans pouvoir faire quoi que ce soit. Il me reste
le devoir
de dire que Roland "aurait été révolté par ce qui arrive".
Propos
recueillis par
Grégoire Leménager
(*)
Editeur des livres de
Roland Barthes qui ont suivi les « Mythologies» (1957), François Wahl a
été son
ami intime de 1956 à sa mort. Retrouvez la version intégrale de
cette interrvention sur
www.bibliobs.com.
*
Cái
vụ in di cảo Nhật Ký Tang của
Roland Barthes, đang làm phiền mọi người, và làm phiền Barthes, ở phía
bên kia nấm mồ.
"Ông sẽ rất là bực mình", bạn thân của Barthes, cho biết.
29 OCTOBRE 1977
Idée - stupéfiante, mais non
désolante - qu'elle n'a pas été “tout”
pour moi. Sinon, je n'aurais pas écrit d' œuvre.
Depuis que je la soignais, depuis six mois, effectivement, elle était
“tout”
pour moi, et j'ai complètement oublié que j'avais écrit. Je n'étais
plus
qu'éperdument à elle. Avant, elle se faisait transparente pour que je
puisse
écrire.
31 OCTOBRE
Lundi 15 h - Rentré seul pour
la première fois dans l'appartement. Comment est-ce que je vais pouvoir
vivre
là tout seul. Et simultanément évidence qu'il n'y a aucun lieu de
rechange.
5 NOVEMBRE
Après-midi triste. Brève
course. Chez le pâtissier (futilité) j'achète un financier. Servant une
cliente, la petite serveuse dit Voilà.
C'était le mot que je disais en apportant quelque chose à maman quand
je la
soignais. Une fois, vers la fin, à demi inconsciente, elle répéta en
écho Voilà (Je suis là, mot que nous
nous sommes dit l'un à l'autre toute la
vie). Ce mot de la serveuse me fait venir les larmes aux yeux. Je
pleure
longtemps (rentré dans l'appartement insonore).
Ainsi puis-je cerner mon
deuil. Il n'est pas directement dans la solitude, l'empirique, etc. ;
j'ai là
une sorte d'aise, de maîtrise qui doit faire croire aux gens que j'ai
moins de
peine qu'ils n'auraient pensé. Il est là où se redéchire la relation
d'amour,
le “nous nous aimions”. Point le plus brûlant au point le plus abstrait…
19 NOVEMBRE
[Brouillage des statuts].
Pendant des mois, j'ai été sa mère. C'est comme si j'avais perdu ma
fille
(douleur plus grande que cela? Je n'y avais pas pensé).
3O NOVEMBRE
Ne pas dire Deuil. C'est trop psychanalytique. Je ne
suis pas en deuil. J'ai du chagrin.
7 DÉCEMBRE
Maintenant, parfois monte en
moi, inopinéément, comme une bulle qui crève : la constatation : elle n'est plus, elle n'est plus, à
jamais et totalement. C'est mat, sans adjectif - vertigineux parce qu'insignifiant (sans interprétation
possible). Douleur nouvelle.
27 DÉCEMBRE
Urt
Crise violente de larmes (à
propos d'une histoire de beurre et de beurrier avec Rachel et Michel).
1)
Douleur de devoir vivre avec un autre
“ménage”. Tout ici à
U. me
renvoie à son ménage, à sa maison. 2)
Tout couple (conjugal) forme bloc dont l'être seul
est exclu.
12 FÉVRIER 1978
Neige, beaucoup de neige sur Paris;
c'est étrange. Je
me dis et j'en souffre : elle ne sera jamais plus là pour le voir, pour
que je
le lui raconte.
6 MARS
Mon manteau est si triste que
l'écharpe noire ou grise que je mettais toujours, il me semble que mam.
ne
l'aurait pas supportée et j'entends sa voix me disant de mettre un peu
de
couleur.
Pour la première fois, donc,
je prends une écharpe de couleur (écossaise).
20 MARS
On dit (me dit Mme Panzera )
: le Temps apaise le deuil - Non, le Temps ne fait rien passer; il fait
passer
seulement l'émotivité du deuil.
2 AVRIL
Qu'ai-je à perdre maintenant
que j'ai perdu la Raison de ma vie - la Raison d'avoir peur pour
quelqu'un.
DEUIL CASA 27 AVRIL 1978
MATIN DE MON RETOUR À PARIS
- Ici, pendant quinze jours,
je n'ai cessé de penser à mam., et de souffrir de sa mort. - Sans doute
qu'à Paris
il y a encore la maison, le système qui était le mien
quand elle était là.
- Ici, loin, tout ce système
s'écroule. Ce qui fait, paradoxalement, que je souffre beaucoup plus
lorsque je
suis “à l'extérieur”, loin d' “elle”, dans le plaisir (?), la
“distraction”. Là
où le monde me dit : “Tu as tout ici pour oublier”, d'autant moins
j'oublie.
12 MAI
J'oscille - dans l'obscurité
- entre la constatation (mais précisément : juste ?) que je ne suis
malheureux
que par moments, par à-coups, d'une façon sporadique, même si ces
spasmes sont
rapprochés - et la conviction qu'au fond, en
fait, je suis sans cesse,
tout le temps, malheureux depuis la mort de mam.
5 JUIN
Chaque sujet (c'est ce qui
apparaît de plus en plus) agit (se démène) pour être «
reconnu ». Pour moi, à ce point de ma vie (où mam. est morte)
j'étais reconnu (par les livres).
Mais chose étrange - peut-être fausse? -, j'ai le sentiment obscur
qu'elle
n'étant plus là, il me faut me faire reconnaître de nouveau. Ce ne peut
être en
faisant n'importe quel livre de plus : l'idée de continuer comme par le
passé à
aller de livre en livre, de cours en cours m'a été tout de suite
mortifère (je
voyais cela jusqu'à ma mort). (D'où
mes efforts actuels de démission). Avant de reprendre avec sagesse et
stoïcisme, le cours (d'ailleurs non prévu) de l'œuvre, il m'est
nécessaire (je
le sens bien) de faire ce livre autour de mam. En un sens, aussi, c'est
comme
si il me fallait faire reconnaître mam.
Ceci est le thème du “monument” ; mais : pour moi, le Monument n'est
pas le durable, l'éternel (ma
doctrine est trop profondément le Tout passe : les
tombes meurent aussi),
il est un acte, un actif qui fait
reconnaître.
16 JUIN
Parlant à Cl. M. de
l'angoisse que j'ai à voir les photos de maman, à envisager un travail
à partir
de ces photos: elle me dit: c'est peut-être prématuré. Quoi, toujours
la même doxa (la mieux intenntionnée du monde) :
le deuil va mûrir (c'est-à-dire que
le temps le fera tomber comme un fruit, ou éclater comme un furoncle).
Mais pour moi, le deuil est
immobile, non soumis à un processus :
rien n'est prématuré à son égard (ainsi ai-je rangé l'appartement, dès
le retour
d'Urt : on aurait pu dire aussi : c'est prématuré).
29 JUILLET
(Vu un film de Hitchcock, “les
Amants du Capricorne”) Ingrid Bergman (c'était vers 1946) : je ne sais pourquoi, je ne sais
comment le dire, cette actrice, le corps de cette actrice m'émeut,
vient
toucher en moi quelque chose qui me rappelle mam. : sa carnation, ses
belles
mains si simples, une impression de fraîcheur, une féminité non
narcIssique ...
1er AOUT
Deuil. A la mort de l'être
aimé, phase aiguë de narcissisme: on sort de la maladie, de la
servitude. Puis
peu à peu, la liberté se plombe, la désolation s'installe, le
narcisssisme fait
place à un égoïsme triste, une absence de générosité.
18 AOUT
L'endroit de la chambre où
elle a été malade, où elle est morte et où j'habite maintenant, le mur
contre
lequel la tête de son lit s'apppuyait j'y ai mis une icône - non par
foi - et
j'y mets toujours des fleurs sur une table. J'en viens à ne plus
vouloir
voyager pour que je puisse être là, pour que les fleurs n'y soient
jamais fanées.
Partager les valeurs du
quotidien silencieux (gérer la cuisine, la propreté, les vêtements,
l'esthétique et comme le passé des objets), c'était ma manière
(silencieuse) de
converser avec elle. - Et c'est ainsi qu'elle n'étant plus là, je peux
encore le
faire.
21 AOUT
Pourquoi aurais-je envie de
la moindre posstérité, du moindre sillage, puisque les êtres que j'ai
le plus
aimés, que j'aime le plus, n'en laisseront pas, moi ou quelques
survivants
passés? Que m'importe de durer au-delà de moi-même, dans l'inconnu
froid et
menteur de l'Histoire, puisque le souvenir de mam. ne durera pas plus
que moi
et ceux qui l'ont connue et qui mourront à leur tour? Je ne voudrais
pas d'un “monument”
pour moi seul.
Le chagrin est égoïste.
Je ne parle que de moi. Je ne
puis parler d'elle, dire ce qu'elle était, faire un portrait
bouleversant
(comme celui que Gide fit de Madeleine).
22 NOVEMBRE
Hier soir, cocktail pour mes
25 ans au Seuil. Beaucoup d'amis - Es-tu content? Oui, bien sûr [mais mam. me manque].Toute “mondanité”
renforce la vanité du monde où elle n'est plus. J'ai sans cesse “le
cœur gros”.
Ce déchirement, très fort aujourd'hui, dans la matinée grise, m'est
venu, si
j'y pense, de l'image de Rachel, assise hier soir un peu à l'écart,
heureuse de
ce cocktail, où elle avait un peu parlé aux uns et aux autres, digne,
“à sa
place”, comme les femmes ne le sont plus et pour cause puisqu'elles ne
veulent
plus de place - sorte de dignité perdue et rare – qu’avait mam. (elle
était là,
d'une bonté abbsolue, pour tous, et cependant “à sa place”. J'écris de
moins en
moins mon chagrin mais en un sens il est plus fort, passé au rang de
l'éternel,
depuis que je ne l'écris plus.
©Seuil
Olivier Py lit le « Journal
de deuil»
A l'occasion de la parution
aux Editions du Seuil du “Journal de
deuil”, de Roland Barthes, aura lieu la première lecture publique de ce
texte
par Olivier Py, le jeudi 5 février à 18 heures au Théâtre de l'Odéon.
Tarif
unique : 5 euros, réservation au 01-44-85-40-40. Cette lecture sera
exceptionnellement retransmise en audio sur www.bibliobs.com. où l'on
peut lire
également un entretien d'Odile Quirot avec Olivier Py.