|
Le tombeau
Chant
d'amour tragique entre
deux écrivains tourmentés, In memoriam
est un roman magnifique et très noir.
Avec In memoriam, incontestablement sa plus grande
réussite
depuis Les trois Parques (Bourgois, 1997),
Linda Lê prouve à nouveau qu'elle est vouée corps et âme à la
littérature. Dans
ce roman fort où rôde la folie, l'auteur des Evangiles du
crime (Bourgois) creuse encore plus profond les
questions de la solitude intérieure, de la difficulté d'écrire, de
guerroyer
avec les mots.
Ecrivain
non accompli, son
narrateur a souvent eu envie de se trancher la gorge d'un coup de
Laguiole, de
poignarder la première passante venue. Voici quelqu'un qui cherche le
salut en
noircissant des pages, lâché à la fois par son corps et par sa tête. Le
héros
de Linda Lê a le projet d'élever un tombeau à Sola, « solitaire et
seule, d'une
solitude souveraine », la femme au teint pâle qu'il a aimée depuis leur
rencontre dans une librairie, un jour où elle feuilletait un recueil de
Wang
Wei, poète du VIIIe siècle, l'auteur des Saisons
bleues. Ecrivain elle aussi, la tourmentée Sola s'est donné la mort
un
matin de printemps. Avant de succomber « aux chants captieux de son
ange noir»,
de perdre son combat face au néant, elle a eu le temps d'achever un
dernier
manuscrit qui reste cependant introuvable.
L'autre hommme
de la vie de Sola se trouvait être Thomas, le frère aîné du narrateur.
Son
ennemi intime, son éternel rival depuis l'enfance, un sournois qui
avait jugé
malin de s'immiscer dans leur relation. C'est pourtant à Thomas que
Sola a
téléphoné avant de se pendre en lui demandant qu'il lui rende visite,
l'obligeant
ainsi à découvrir son cadavre ...
Comment se relever d'avoir eu pour père un
naufragé
Linda
Lê excelle à évoquer la
dépendance, le côté cannibale d'une relation triangulaire sous haute
tension.
Comme dans plusieurs autres de ses romans, l'importance de la filiation
joue un
rôle capital. Sola qui se proclamait fièrement apatride traînait un
lourd
fardeau. Iranien, son père avait quitté sa terre natale à l'âge de
vingt ans
pour gagner Paris,
y épouser une Nantaise, gagner tour à tour sa vie comme
manutentionnaire,
vendeur de journaux ou caissier de cinéma. Sola avait cinq ans
lorsqu'elle
assista à l'enterrement de son géniteur dont le cadavre déchiqueté par
un train
fut retrouvé sur une voie ferrée. Comment se relever d'avoir eu pour
père un
naufragé, un homme que amour du cinéma, sa seule passion, a un temps
maintenu
sous respiration artificielle ?
«
Chaque livre renferme un
cri, longtemps réprimé, et auquel doit prêter oreille celui qui,
au-delà des
intentions agrantes, est à même de lire entre les lignes », écrit Linda
Lê dans In memoriam. Elle signe là son roman
le plus construit, accessible malgré sa profonde noirceur. Un texte
aussi
incandescent que tragique auquel il faut plus que prêter l'oreille.
Alexandre
Fillon
***
In memoriam par Linda Lê, 10 p., Christian
Bourgois, 17 €
[Lire,
Sept 2007]
|